dimanche 21 septembre 2014

Pluie de mots



Les marches grincent à chacun de mes pas, je n'entends plus leur bruit, je m'y suis habituée.
Les habitudes d'une mère qui ne voit pas ses enfants grandir.
Recouvrir les épaules dénudées pour ne pas qu'ils prennent froid.
Me taire, ne plus bouger, écouter pour entendre leurs souffles endormis.
Me taire, ne plus bouger, regarder pour voir leurs ventres se gonfler d'air et de songes.
Découvrir chaque nuit dans la pénombre les vestiges de leurs jeux nocturnes, les petits mots ou les dessins que remplissent les pages de leurs carnets.
Sourire dans le noir et sentir mon cœur fatigué battre aussi fort que le jour où ils sont sortis de mon ventre.

Rejoindre notre couche et m'étendre enfin dans les draps prune.
Sentir ma peau refroidie par les heures passées à lire à la lueur des bougies, la porte ouverte sur le jardin parce que je ne veux pas recommencer à m'habituer à vivre les portes fermées.
Sentir sa peau et me blottir tout contre lui, ses jambes et ses bras qui me transmettent la chaleur de ses rêves.
Savourer cette sensation si proche de celle qu'on peut ressentir quand on est assis sur un banc par une journée d'automne, quand le vent revient mais que le soleil est encore assez présent pour effacer la morsure des bourrasques.
Me blottir contre mon soleil endormi.
Laisser ma peau se réchauffer petit à petit.
Immobile, le chapelet des souvenirs s'égrainant entre mes doigts.

Les mots et les images arrivent comme des nuages vaporeux au dessus de mon oreiller.
Des nuages lourds d'idées m'offrant une douce pluie.
Les gouttes coulent dans mes cheveux, sur mes paupières closes.
Les phrases se forment, se suivent, ont un sens particulier.
Je pourrais rallumer la veilleuse, me redresser, prendre mon stylo, ouvrir le cahier et commencer à écrire mais j'ai l'impression que des mots aussi savoureux et sincères ne peuvent pas s'effacer.
J'ai l'impression qu'ils se gravent dans ma mémoire, qu'il me serait impossible d'oublier les suites de mots tellement authentiques.
Je ne veux pas perdre le fil des gouttes, des mots, des sons.
Je reste immobile et j'ouvre la bouche pour boire la pluie d'idées.
Je ne voudrais pas que les images s'évaporent en faisant taire l'obscurité. Je reste immobile et je me laisse emporter par le flot des traits.

Je me dis quelques fois que je devrais être raisonnable.
Je devrais fermer les fenêtres et les portes, baisser les volets pour empêcher la pluie d’inonder les draps et mon esprit.
Je devrais dormir et cesser de penser. Je devrais me reposer et clore mes paupières intérieures.
Une nouvelle journée d'habitudes m'attend.
Mais je n'ai ni la force, ni l'envie d'ouvrir un parapluie imaginaire pour échapper à cette douce averse.
Je suis comme une étoffe oubliée un soir d'orage, les fibres qui se gorgent d'eau, je suis une étoffe à la fois légère et lourde.
Les pensées m’inondent, je me laisse imbiber et flotter.
Je me laisse emporter, je vogue et je divague.
Les yeux se mélangent, ceux des mes tout-petits, ceux de mon grand homme, ceux de cet ami imaginaire dont la voix me berce.
Leurs regards perçants et apaisés, leurs paupières se referment si lentement, si tendrement.
Une seule âme pour plusieurs regards, l'esprit des êtres chers réunis en un spectre bienveillant.
Je ressens les lèvres qui se serrent sur mes seins, le picotement du lait qui jaillit, mes membres qui s'engourdissent, mon esprit qui s'élève et cette chaleur indescriptible.
La maternité, l'amour, l'appartenance et une amitié irréelle mais authentique.
La douceur, la sensualité et la communion qui ne peuvent se dire tout haut.

Immobile et à l'abri sous les plumes prune je voyage.
Je découvre les plaines et les montagnes, j'entends les coyotes gémir et les chevaux hennir.
Je n'ai pas besoin d'inventer ces habitudes qui me sont étrangères.
Le nuage surplombant mon oreiller m'offre ces sons et ces odeurs, ces teintes et ces mélopées sauvages.
Petite fille sans racine et sans valise je suis devenue femme d'ailleurs.

Immobile j'essaie de refermer mes doigts sur ces cadeaux, ces mots offerts par une averse d'idées.
Mes doigts ne bougent pas, mes paupières se referment et mon esprit s'envole.

Les suite de mots auront disparu à mon réveil, ma couche sera sèche et chaude.
Je n'aurai rien écrit, rien ne sera gravé que le souvenir de paysages qui ne se traduisent pas, qui ne se décrivent pas, qui ne se partagent pas.

lundi 1 septembre 2014

Une rentrée particulière





Cette année mon grand Loup ne retournera pas à l'école, nous avons choisi l'"instruction à domicile" en espérant qu'il aura le cœur plus léger et que nous pourrons apprendre ensemble lui et moi des choses qui nous passionnent. Et plutôt que de rester assis sur une chaise, pour célébrer ce choix nous sommes allés cueillir les pommes de notre petit pommier (bien généreux cette année). Je n'ai pas pu m'empêcher de penser à Henry David Thoreau et à ses pommes sauvages.

dimanche 24 août 2014

Un rêve qui rejoindra le nuage des souvenirs


Un rêve qui rejoindra le nuage des souvenirs.
Trop précieux pour le laisser s'envoler quand la lune se couche.
Trop libre pour se laisser épingler comme un papillon desséché.

Les mélopées languissantes.

Les fesses posées sur un banc d'un autre âge.
Les genoux repliés contre la poitrine, empêchant mon cœur battant la chamade de déchirer mes entrailles pour aller voler au dessus de la scène.
Un regard vers mon âme nue, un sourire discret mais authentique et sincère.
Un saut dans le temps, les détails qui s'évanouissent pour mettre en valeur ce qui n'a pas de prix.
Attirée vers une voix connue par cœur.
Des mots dans une langue et puis dans l'autre.
Retrouver dans les buissons un inconnu si familier.
Deux adultes comme deux enfants.
Si loin de la chair mais si proches de l'écrin de l'âme.
Rire et courir.
Se cacher et se retrouver.
Se surprendre et fondre dans les bras de l'autre.
Goûter la chaleur et le magnétisme d'une façon si différente de celle que les amants connaissent.
Un mélange de pudeur noble et de liberté enfantine.

S'en aller, sautillant, mes épaules sous ses bras.
Nos quatre mains jointes, nos mains tissées abritant un petit oiseau mort mais coloré.
Nos quatre mains jointes, nos mains tissées faisant sautiller avec toute la joie de nos cœurs d'enfants ce petit oiseau tombé du nid trop tôt et découvert dans les buissons comme nous découvrions une amitié hors du temps.
Petit animal encore chaud mais dépourvu de vie.
Petit animal aux plumes vives et douces.
Petit animal des plaines et des rêves rouges.
Nos sourires et nos gestes remplis d'une complicité magique donnent un sens à la chute, à la fin prématurée.

Me souvenir des mots échangés mais ne pas en saisir le sens parce que mes yeux sont trop ouverts.

Il est entré dans mes oreilles avant d'entrer dans mes rêves.
Je suis entrée dans son cœur, loin de la réalité, dans le royaume innommable des rêves.
Hors du temps.

Boire les images, savourer les souvenirs d'une complicité impossible.
Me laisser bercer.
Laisser l'encre noire courir sur le papier.
Respirer.
Me souvenir d'un rêve plus réel que la réalité.
Comprendre qu'il y a tellement plus que les gestes quotidiens, plus que ce que je vois ou entends.
Comprendre qu'écouter, regarder, admirer ne peut se faire que les yeux fermés, l'âme flottante et le cœur à nu.

Un rêve comme un bijou que la nature offre.
Un bijou dont les hommes ne se soucient pas.
Un bijou qu'ils ne cherchent pas à façonner, à transformer, à échanger, à enfermer ou à vendre.
Un rêve comme le souvenir des enfants purs et joyeux que nous serons toujours même lorsque nos visages chiffonnés seront entourés de mèches grises.

Aimer les différences qui nous unissent.
Aimer les kilomètres qui nous séparent autant qu'ils nous rapprochent.

Accueillir dans mon cœur de sœur un nouveau frère avec lequel j'ai partagé des jeux d'enfants en pleine nuit, loin de mon lit, dans les buissons de mes entrailles, au milieu des prairies de mon âme.

Écrire pour me souvenir de ce que je n'oublierai jamais.
Des mots en vrac, loin de traduire la grandeur des petites choses remplies de sens.
Sourires, chants, banc, buisson, plumes, mains jointes, chaleur, abris, cœurs, sœur, frère, images, puissance et douceur, plaines, herbes, dessin du bois, regards complices, pieds nus.

Les bras tendus pour quelques clichés fixés pour l'éternité dans mon esprit au moment où je sentais la lune s'en aller.

Le cœur d'une mère peut accueillir autant d'enfants que ses entrailles pourront abriter et mettre au monde.
Le cœur d'une sœur peut accueillir autant de fantômes que son esprit rencontrera quand le soleil est couché et les yeux fermés.

Chercher les mots pour traduire ce qui ne s'explique pas et ne se partage peut-être pas non plus.

Un lit de plumes pour des rêves de flocons.
Des paysages sans nom et sans lieu comme un rideau qui se referme sur un rêve qui rejoindra le nuage des souvenirs.

lundi 16 juin 2014

Les cœurs d'une renarde


En descendant du muret qui lui sert d'observatoire quand le soleil éclaire la lune, elle remarque, entre le gris des briques un minuscule trou, un trou en forme de cœur.

En démêlant une mèche de ses cheveux en bataille prise dans la vigne, elle découvre une feuille naissante, une feuille en forme de cœur.

En se promenant dans la forêt elle s'agenouille et semble se recueillir au pied d'une souche d'arbre, une souche en forme de cœur.

En sautillant dans le jardin elle remarque des brindilles abandonnées, peut-être par une pie qui faisait son nid, des brindilles qui forment un cœur.

Perdue dans ses pensées, au milieu de la cour bruyante, des enfants qui jouent, courent, chantent, s'amusent ou se chamaillent elle se penche pour ramasser un tout petit bout de papier oublié, un petit bout de papier en forme de cœur.

En suivant ses amis, son chat à la robe réglisse et son étrange compagnon imaginaire au chapeau couleur nuit, elle trouve dans le fond du jardin, parmi les herbes folles un brin plié par le vent, un brin d'herbe qui forme un cœur.

En partant à la recherche de fleurs aussi sauvages que son âme d'enfant pour les assembler en bouquets magiques elle ramène des pétales immaculés, des pétales en forme de cœur.

En prenant une de ces douces douches de pluie qu'elle aime tant elle évite de justesse une flaque, une flaque de pluie en forme de cœur.

En inventant des histoires tristes de petite fille joyeuse avec ce qui lui tombe sous la main : boutons et ficelles, craies et cendres elle lâche les cailloux prisonniers de sa main couleur de terre, ils tombent et forment un cœur.

En observant comme des blessures de guerre les écorchures sur ses genoux nus elle remarque, sur sa cheville un coup bleu, un coup en forme de cœur.

En offrant son nez laiteux et ses joues cerise au soleil, en laissant s'envoler son âme de princesse tribale dans le ciel qui l'a vue naître elle admire les nuages et se laisse emporter par un tout petit nuage gris, un nuage en forme de cœur.


Chaque nuit, au moment où mes mains fatiguées d'avoir pétri se délient, au moment où mes jambes fatiguées d'avoir enjambé tant de gris s'étendent, au moment où je partage les plumes du père des mes enfants sauvages,

Chaque nuit, mes paupières se ferment sur un monde pour en retrouver un autre.

Je m'envole au dessus des forêts de bouleaux, de chênes, de hêtres, d'aulnes, d'érables, de tilleuls et d'ormes.

Mon âme se nourrit de ce qui n'a pas d'âge, mes yeux s'ouvrent vraiment, mes narines boivent les parfums que la nature nous offre.

Je me rapproche de la cime des arbres devenus des amis, je me pose sur une branche surplombant un sentier créé par les pas des amoureux et le rouge se détache du brun.

Au milieu du sentier quelque chose luit et semble bouger.

Là à même la terre, l'écorce et les feuilles mortes mon cœur bat paisiblement.

Ma renarde le remarquera-t-elle, rouge et à vif quand les troncs et les branchages seront sa maison ?

S'agenouillera-t-elle pour approcher son oreille du tapis de verdure ?

Entendra-t-elle mon cœur battre et vibrer quand il sera enfui et digéré par la terre ?

Devinera-t-elle que ce sont ses trésors minuscules et grandioses, ses chants nobles et sauvages, ses sourires enjoués et espiègles, ses mots doux et tendres, ses couleurs naturelles et gourmandes, ses rêves légers et étranges, ses étreintes éternelles et guérisseuses, ses regards profonds et enfantins qui coulaient dans mon cœur et le faisaient battre ?

Entendra-t-elle le murmure de ma vie, de mon âme, de mon cœur né le jour où mes entrailles sont devenues celles d'une mère ?

vendredi 30 mai 2014

Cœur sauvage et noble d'enfant sauvage et noble



Mon loup, ma sauvagerie.
Quand mes yeux se remplissent de brouillard ce sont ses poings d'enfant qui se serrent.
Il me conseille de me cacher à l’abri du béton et des herbes folles pour libérer mes paupières des larmes qui les inondent.
Précieux cœur de précieux enfant.
Cœur sauvage et noble d'enfant sauvage et noble.
Il lui aura fallu escalader les terrils et découvrir les vestiges d'un monde oublié pour connaitre le manque.
Sa voix vibre et se brise.
Les sanglots restent prisonniers de sa gorge.
Mais il est ma chair et mon sang.
Je reconnais les variations des amplitudes de ses regards.
Je sais qu'un morceau de son monde d'enfant noble et sauvage s'est écroulé.
Je sais que son enfance ne trouvera pas de compromis, de faux-semblant pour traduire la cruauté des décisions adultes.
Il ne tentera pas de mettre de l'ordre dans ses idées.
Il ne criera pas dans le vide comme je le fais trop souvent.
Il continuera à avancer, en parallèle, avec ses logiques extrêmes.

Je n'ai pas voulu déverser au pied de leurs racines encore fragiles l'aigreur et l'acidité qui rongent les rêves.
Nous avons avalé le long ruban de bitume jusqu'à ce que les troncs et les épines nous offrent leur ombre réconfortante.
Les rayons qui percent les vitres et font oublier l'acier.
Ouvrir les portes et s'enfoncer au cois du bois.
Suivre ses pas curieux et décidés.
La boue ocre de quelques flaques.
Mon loup, ma sauvagerie trempant le caoutchouc neuf dans l'eau rougie.
L'angle de son regard apaisé pareil à celui des rayons du soleil qui nous accueille.
L'observer de loin, admirant les dessins des ondes.
Motifs de la tristesse oubliée, des plaies qui guériront et se refermeront.
Le bonheur d'un instant retrouvé dans une flaque d'eau et de boue.

Le sourire qui ne se cache pas dans les lèvres mais se lit dans les yeux.

Quelques flaques à l'ombre des sapins.
La certitude qu'il puise sa force, sa sensibilité, sa noblesse et sa sauvagerie ailleurs que sur les bancs.
Le voir s'éloigner paisiblement et me sentir rassurée.
Le voir s'enfoncer calmement au coin du bois et me sentir légère.
Le voir se diriger vers notre rêve sauvage, noble, précieux et goûter la douceur des larmes émues.
L'imiter. Ne pas sourire avec les lèvres. Ouvrir ma poitrine et laisser battre librement mon cœur.
Feuilles et épines.
Flaques et boue.
Nuage et astre.
Ondes et traits.
Baies et pluie d'étoiles diurnes.

Me délecter de son regard grave, sensible, rieur, de ses pas sauvages mais paisibles.
Voir son âme virevolter à chacune des éclaboussures de cette noble et précieuse boue.

lundi 20 janvier 2014

Mes rêves s'accrocheront aux branches


Le fruit de la noix : l'esprit, le cœur, les idées, les mots, les gestes, les couleurs, les passions, les regards, les petits papiers, les révoltes, les larmes, les espoirs, les cailloux.
Le fruit de la noix : ceux qui comptent, ce qui compte.

Les couches s'envolent, les unes après les autres.
Certaines inutiles, d'autres encombrantes et nuisibles.
Nous serons plus légers, nous serons plus profonds.

J'ai donné naissance authentiquement.
Mes entrailles ont créé la vie.
Mon corps a donné naissance à la chair et aux idées.
Mes seins ont offert le lait qui coulait aux coins de leurs joues roses.
Mes bras ont abrité leurs songes.
Mes yeux ont bu leur souffle.
Mes mots ont protégé leurs ailes fragiles.

Je ne veux plus déblayer la route pour leur faire un passage.
Je veux redécouvrir les sentiers qui ont toujours existé.
Je veux suivre leurs pas, leurs mots et leurs esprits libérés du gris et du temps.
Je veux me nicher là où tout existait avant nous.

J'arroserai la terre pour les nourrir des fruits de ses entrailles.
J'apprendrai à me perdre, j'apprendrai à nous retrouver.
Mes phrases ne seront jamais trop longues pour les feuilles.
Mes mots ne seront jamais trop profonds pour les racines.
Mes rêves s'accrocheront aux branches.

Nous partirons et je jetterai les mots acides et amers.
Nous partirons redécouvrir les mots tendres et véritables.
Je ne laisserai jamais personne remettre en question le fruit de leurs coquilles.
Je ne laisserai jamais personne leur faire croire que l'esprit, le cœur, les idées, les mots, les gestes, les couleurs, les passions, les regards, les petits papiers, les révoltes, les larmes, les espoirs, les cailloux ne sont pas ce qui compte !